Alexandre Dumas se promène à Avignon.
Extrait de : Impressions de voyage : Le Midi de la France.
J’allais donc ainsi vaguement et devant moi, quand tout à coup, au détour d’une petite rue montante, mon regard alla heurter une arche colossale de pierre, jetée en arc-boutant au-dessus de cette ruelle. Je levai les yeux : j’étais au pied du château des papes.
Le château des papes, c’est le moyen-âge tout entier aussi visiblement écrit sur la pierre des murailles et des tours que l’histoire de Ramsès sur le granit des Pyramides ; c’est le XIVe siècle avec ses luttes religieuses, ses argumentations armées, son église militante. On dirait la citadelle d’Ali-Pacha, plutôt que la demeure de Jean XXII. Art, luxe, agrément, tout est sacrifié à sa défense ; c’est enfin le seul modèle complet qui reste de l’architecture militaire de cette époque. Devant lui, on ne voit que lui, derrière lui, la ville entière disparaît.
Puis, si vous entrez dans la cour, vous trouvez l’intérieur du palais aussi terriblement cuirassé que l’extérieur. Là, tout est prévu pour une surprise qui livrerait les portes. De tous côtés, des tours dominent le préau, et des meurtrières le menacent ; c’est pour l’assaillant qui est parvenu là et qui se croit vainqueur tout un siège à recommencer ; puis, ce second siège achevé avec autant de bonheur ue le premier, reste une dernière tour sombre, isolée, gigantesque, où le pape que l’on assiège et poursuit a choisi sa dernière retraite. Cette tour forcée comme les autres, l’escalier qui conduit aux appartements pontificaux s’enfonce et se perd tout à coup dans une muraille ; et, tandis que les derniers défenseurs de la forteresse écrasent les assiégeants d’un palier supérieur, le souverain pontife gagne un souterrain dont les portes de fer s’ouvrent devant lui et se ferment derrière lui ; ce souterrain conduit à une poterne masquée qui donne sur le Rhône, où une barque qui attend le fugitif l’emporte avec la rapidité d’une flèche.
Malgré l’anomalie que présente la garnison moderne avec la citadelle qu’elle habite, il est impossible de ne pas se laisser prendre à la poésie historique d’une pareille demeure. À peine a-t-on erré une heure dans ses corridors, sur ces courtines, au milieu de ces prisons, parmi ces salles de torture, que l’on se sent emporté, en voyant tout si passionnément construit pour la vengeance et l’impunité, aux passions instinctives que la civilisation moderne a sinon éteintes, du moins comprimées dans notre poitrine. On conçoit parfaitement que, dans une époque où il n’y avait ni espérance pour les haines faibles, ni répression pour les haines puissantes, tout fût de fer, depuis le sceptre jusqu’à la crosse, depuis la crosse jusqu’au poignard.
Cependant, au milieu de toutes ces impressions sombres, on retrouve quelques reflets d’art, comme sur une armure brunie des ornements d’or ; ce sont des peintures qui appartiennent à la manière roide et naïve qui forme le passage entre Cimabué et Raphaël. On les croit de Giotto ou de Giottino, et, ce qu’il y a de certain, c’est que, si elles ne sont pas de ces maîtres, elles sont au moins de leur époque et de leur école. Ces peintres ornent une tour réservée probablement pour la demeure habituelle des papes et une chapelle qui servait de tribunal à l’Inquisition.